Expert-Conduite du changement
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Intervention ergonomique : accompagner aussi le changement
Ergonomie : Construire ensemble le bien travailler ensemble
Publié par Michel.BENOIT dans News · Jeudi 26 Août 2021
Accompagner le changement même quand on améliore les conditions de travail
1.    Conduire le changement : nécessaire dans tous les cas !
Cet article vient d’une discussion récente avec un collègue qui intervient en recherche de performances, dans le Lean management pour être précis. Nous échangions sur une de ses missions pour laquelle se passait moins bien qu'il le souhaitait, en particulier sur la résistance au changement des opérateurs et de la hiérarchie directe, et il m'avour que c'atait une constance lors d’un de ses chantiers. Et en sorte de conclusion, il ponctua son propos en disant : « c’est plus facile pour toi quand on fait de l’ergonomie : comme les modifications portent sur l’amélioration des conditions de travail, les gens sont toujours d’accord ». Pas toujours aussi simple …
Nous montrerons au travers d’une intervention réelle qu’on ne peut pas "faire le bonheur" des personnes au travail (et ailleurs !) sans faire une analyse réelle des situations. Nous reviendrons ensuite sur ce qui n’a pas été fait dans cette situation. Enfin nous conclurons sur les raisons de toujours accompagner les changements, quels qu’en soit leurs objectifs, aussi bienveillants soient-ils.
 2.    Aide à la manutention : Une approche « seulement » technique
Il y a quelques années, nous intervenions dans une entreprise de cosmétiques en région parisienne. La responsable de production nous demanda notre avis sur une situation particulière.
1)     Le contexte de l'intervention ergonomique
La production de cosmétiques fait appel à des formules avec parfois plus de 30 composants. Avant de passer en phase de production, les composants doivent être peser ou mesurer en salle de préparation. Pour des raisons d’hygiène et éviter la présence de germes ou Palettes-en-fabrication-Cosmétiquede corps étrangers, la présence de bois est proscrite dans l’espace de préparation et à fortiori en fabrication. La très grande majorité des composants sont livrés en fûts, en cartons, en sac, … mais toujours sur des palettes bois, en format Europe (80 x 120 cm) ou en format spécial (100 x 120 ou 150 x 120 en particulier pour certains sacs et pour les fûts). Il est donc nécessaire de transvaser le contenu sur des palettes métalliques ou des plastiques : ce sont plusieurs tonnes par jour à manipuler !
Pour les personnes de la réception marchandise, la charge physique des manipulations est si importante que l’entreprise a dû faire face à un absentéisme important de plusieurs titulaires, et également un accident de travail, et donc le recours à des personnes intérimaires, embauchées en urgence et donc mal formées aux procédures compliquées de la réception et des procédures de déclaration de matières parfois répertoriées comme dangereuses.
Conduite-Changement-intervention-ergonomiqueAprès ces multiples problèmes, et en réponse aux demandes récurrentes du CHSCT, un investissement d’assistance à la manipulation des charges est mis en place, d’un montant de près de 35 k€. Il s’agit d’une double table élévatrice pour placer les palettes (celles d’origine en bois, celle de destination en métal ou en plastique), et d’un système de levage à assistance pneumatique (surnommé la « mobylette », car composé d’une poignée rotative pour contrôler la puissance de l’aspiration.
2)     La demande initiale : convaincre le réfractaire
Parmi les trois personnes qui travaillent au service « réception marchandise », deux utilisent l’équipement mis en place, le troisième, plus âgé, en refuse l’utilisation, se justifiant par l’inutilité de la solution installée. La responsable me demande de convaincre le réfractaire d’utiliser l’équipement, dernière médiation avant une obligation, voire sanction si l’opposition est définitive.
L’intervention proposée est de faire un diagnostic : d’abord une observation de la situation, une rencontre des différentes personnes, et de faire un retour sur l’utilisation de l’équipement nouvellement installé.
3)     L'observation des deux pratiques de travail
Les premières observations en matinée se font avec les deux utilisateurs de l’équipement, les deux ont une vingtaine d’années. L’équipement est installé dans un recoin de l’entrepôt, contre le bardage ce qui empêche d’en faire le tour. Si le dispositif évite de porter la charge, elle oblige à des postures contraintes importantes : travail avec les bras en hauteur pour les charges hautes, flexion et torsion importante du rachis pour les charges basses ou les charges éloignées, accessibilité difficile dans certaines positions, … La pression temporelle (libérer la place en zone de réception, arrivée des livraisons) ne permet pas l’utilisation régulière de la mise à hauteur des 2 palettes (origine et destination). Cette pression temporelle rendait compliqué le changement d’accessoires en fonction des différents contenants (adaptateurs différents pour sacs, cartons, fûts, bidons, …). Les observations sont corrélées par une mesure de la fréquence cardiaque : avec ou sans dispositif, le transfert des sacs pour une palette complète requiert dans les deux cas un coût cardiaque de plus de 40 bpm. Le bilan de cette première séance est très mitigé.
La première rencontre avec l’employé « réfractaire » est représentative du personnage : on se salue et il me dit directement : « c’est vous qui allez m’apprendre à travailler ? ». Nous lui expliquons que nous souhaitons avant tout faire des observations de la situation actuelle, et il nous confirme son accord pour nous montrer les solutions « personnelles » qu’ils utilisent depuis plusieurs années.
a) Faire passer des fûts de 120 litres (d’une palette bois sur une palette métallique)
La palette réceptrice est placée au sol en appui contre un mur pour qu'elle ne puisse pas glisser, la palette de fûts est juste devant. Avec le chariot équipé d'une palette, les fûts sont poussés en ajustant la palette du chariot le plus bas possible
b) Transférer des sacs de 25 kg
L'opérateur utilise deux chariots élévateurs pour mettre les deux palettes au niveau souhaité (la palette de réception un peu plus bas) : il pousse ou il tire les sacs en les faisant glisser. Les manipulations se font avec une légère flexion du dos, en sollicitant les bras, et le tronc en appui sur le coté de la palette
c) Transférer des cartons de 6 à 21 kg
Les palettes de carton comportent des intercallaire pour maintenir une bonne cohésion des cartons, et éviter la chute d'une pile complète de carton. L'opérateur utilise alors ces intercalaires pour faire glisser une ou plusieurs couches de cartons d'une palette à l'autre.
d) Un opérateur obligé de réfléchir et de préparer ses gestes
Une fois les différentes manipulations effectuées, l'opérateur partage sa situation personnelle : suite à plusieurs accidents, il ne peut solliciter son rachis de manière importante, et donc il a recherche toujours des postures et des gestes qui réduisent les flexions et les rotations du dos
4)     Diagnostic des situations observées
Ce ne fût pas la partie la plus simple de l’intervention : convaincre qu'avec une formation adaptée aux bonnes pratiques de manutention, on pouvait éviter dans 70% du temps le recours à l’investissement, et que pour une bonne utilisation de ce dernier pour les 30% restant, il fallait le déplacer pour en avoir un accès complet à 360° pour éviter les flexions et les rotations du rachis.
3.    Modifier l'approche des améliorations des situations de travail
Nous mettons l’accent sur plusieurs points qui permettent de comprendre cette situation difficile, sans vouloir être ni trop technique, ni exhaustif :
  • Une conception techno centrée,
  • Une absence d’analyse sérieuse de la situation réelle,
  • La négation du triptyque technique / organisation / pratiques,
  • Des pressions et des discussions hors du seul champ des conditions de travail.
Ces points sont importants dans la recherche de solutions efficaces et pérennes
 1)     Des solutions trop souvent techno-centrées
La tendance, en ergonomie comme dans beaucoup d’autres domaines, est de proposer LA solution technique pour chaque problème. Le mal de dos au bureau : la chaise dite « ergonomique ». Le mal au poignet ou au coude en travaillant sur ordinateur : la souris labellisée « ergonomique ». Le mal de dos pour la manipulation de charges : l’exosquelette.
Nous ne disons pas que ces solutions sont mauvaises. Nous disons juste que cela ne correspond pas à une approche ergonomique, car ces équipements sont préconisés non pas après une analyse ergonomique de la situation réelle (méthode des 5 carrés !), mais par analogie ou par duplication de solutions précédentes.
Dans l’exemple que nos présentons, la solution était la mise à disposition d’une assistance à la manutention et à la manipulation de charge : pourquoi pas. Mais l’implantation, l’installation, la formation à l’utilisation n’ont pas été pris en compte. Ni même la prise en compte des pratiques existantes, de la pression temporelle (camion qui attendent, préparation en urgence, …), de la nécessité de formation des opérateurs intérimaires, … On pourrait également évoquer la maintenance de l’installation, les réglages, le montage des différents accessoires en fonction des contenants, …
2)     Des solutions trop éloignées du travail réel
C’est le corollaire du paragraphe précédent. Les solutions techno-centrées sont souvent issues de bureau d’études ou de fournisseurs de solution alors qu’aucune analyse de la situation réelle n’a encore été effectuée. L’analyse de la situation réelle, ce n’est pas aller sur la zone, regarder le travail 10mn, poser deux ou trais questions. C’est faire un diagnostic avec les outils dont disposent les ergonomes, permettant une caractérisation complète de la situation. Ce n’est pas seulement une question de temps d’intervention (on ne va pas passer une semaine pour étudier le poste de réception !), mais de méthode d’intervention.
3)     Une bonne solution s’équilibre entre les axes technique / organisationnel / pratique
L’analyse ergonomique ne consiste pas à trouver les problèmes techniques, mais bien de caractériser la situation suivant ces trois axes :
-          L’axe technique : quels outils, quelle installation, quel environnement de travail (hauteur, lumière, …) ,
-          L’axe organisationnel : collectif de travail, liens avec les postes amont/aval, hiérarchie, informations, …
-          L’axe des pratiques et des habitudes : comment les personnes travaillent, apprennent, développent des stratégies, …
Les solutions seront à trouver également sur ces trois axes
4)     Une solution qui sort du seul champ des conditions de travail
La demande d’améliorer le poste de travail provenait du CHSCT compte tenu du nombre important de plainte des personnes, de l’absentéisme, des incidents et de l’accident qui y était survenu. La pression exercée a conduit à un investissement de 35k€ qui satisfait les deux parties.
  • La Direction d’une part, pour avoir mis à disposition un budget conséquent pour l’amélioration des conditions de travail et la santé des personnes, plutôt positif pour la communication, et donc pouvait se servir de cette nouvelle pour obliger les personnes à l’utiliser.
  • Le CHSCT d’autre part, qui avait obtenu un investissement conséquent, annoncé comme une victoire, et dont le gain serait mis dans la balance au moment des prochaines élections.
Par contre l’investissement n’était pas satisfaisant pour les personnes qui travaillent sur la zone : pour ceux qui l’utilisait, et pour ceux était menacés de sanction pour ne pas l’utiliser.
4. Conclusion
Bien sûr que nous militons pour que l'on apporte à des problèmes analogues une « véritable intervention ergonomique »,afin de trouver et mettre en place des solutions véritablement efficaces, c’est-à-dire permettant de réaliser les performances requises tout en préservant la santé des personnes qui travaillent. Il ne s’agit pas ici de défendre une profession, mais une démarche qui permette d’obtenir des résultats pérennes et efficaces pour la santé des personnes qui travaillent


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